«Internet rénove les usages funéraires»
Vous travaillez depuis plusieurs années sur l’identité numérique post mortem. Quelle est votre perception, plus largement, du milieu funéraire?
Il est en changement profond. Obsèques, relation au défunt, gestion du deuil sont l’objet de nouvelles pratiques, et beaucoup sont dues à l’impact du numérique. Je participe, en particulier, au développement d’une réflexion sur l’importance des données digitales laissées par un défunt. Ces «données» sont nombreuses, vue la place prise par les réseaux sociaux, et un recul critique est nécessaire. Leur maniement peut véhiculer le meilleur et le pire – de véritables traumatismes – pour les familles. Les chercheurs, en communication ou en anthropologie, ont fort à faire et sont de plus en plus nombreux à se pencher sur la « mort à l’ère numérique».
Vous avez identifié la naissance récente de «communautés» autour des défunts. Quand tout ça a-t-il commencé ?
Il y a une dizaine d’années. Le numérique percute les métiers et dans le funéraire, il concerne d’abord les échanges entre les professionnels et leurs clients (devis en ligne), puis il s’invite dans la gestion des funérailles (fichiers mp3, livres d’or en ligne), enfin il ouvre le champ d’une plus grande personnalisation de la relation au défunt. Des start ups se créent, plus ou moins viables, proposant de numériser écrits et photos de décédés, de trier leurs données issues de Twitter ou Facebook, d’ouvrir des pages in memoriam etc. Internet rénove les usages, il en crée. Mais cela se fait dans un certain désordre juridique et éthique. La numérisation des relations amène chacun à « produire » des gigaoctets de données: une fois mort, à qui sont-ils, et qu’en faire? Les familles ne sont pas préparées à ces questions.
Vous allez participer au jury du concours Previseo de l’innovation funéraire. A quel type de projets serez-vous plus «sensible» ?
La diversité sera bienvenue, et je serai attentive aux projets qui facilitent la communication entre les groupes qui, du vivant d’une personne, font partie de son cercle proche, et qui, après sa mort, ont besoin de se réunir, remémorer et recueillir autour, notamment, des données qu’il a générées et que sa famille a publiées, par exemple, sur sa page Facebook. L’articulation de ces groupes, qui ne se connaissaient pas, me semble importante et en même temps, me pose question. Les innovations peuvent faciliter la consolation mais n’entretiennent-elles pas des deuils «pathologiques», nourris sans fin par ces données sur le défunt, préparées par lui, rapportées par ses proches ou exhumées par des sociétés? La dimension éthique des projets me semblera utile à défendre.